mardi 24 mai 2011

La tragédie se finit toujours mal !

Les yeux rivés par-delà l'Atlantique, les grands esprits entendaient leur Messie. Zeus en colère, par ses traits de foudre, éloigna ce Typhon qui devait terrasser le tout-puissant démiurge élyséen. Ils espéraient l'Imam caché, ils attendaient Godot ! Les écrans, haut-parleurs et journaux, dans un concert de larmes, submergeaient le quidam. Une fatalité implacable forcément injuste, forcément inique plaçait notre pays et la famille de la finance mondiale, au cœur d'une tragédie. C'était le chant du cygne.

Ces médecins malgré eux, apothicaires modernes, préparateurs zélés de potions libérales sont devenus sourds aux souffrances de la plèbe. Repliés sur eux-mêmes, leur rang, leurs privilèges ils auscultent leurs entrailles, depuis leur ombilic. La tête basculée vers l'avant, ils ne regardent plus le spectacle du monde. Ils ne peuvent pas voir la tragédie moderne, ils s'en veulent acteurs. Ils préfèrent titiller le cyclope, faire peur et se faire peur. Perdus dans le dédale de leurs ego ils ne distinguent pas ces Sisyphes modernes qui, inlassablement, tentent de s'élever pour découvrir un horizon perdu.

Humbles parmi les humbles, ces modestes se sentent sacrifiés au Minotaure capitaliste. L'héritier de la lignée d'Europe, ce premier enfant de la passion avec le taureau blanc de Wall-street, attend les condamnés malheureux de la dictature des marchés. Apeurés, ils grondent et s'organisent dans la rue tandis que d'autres, par colère, nourrissent l'Hydre de Lerne de leurs bulletins de vote. Enfant incestueux des élites postmodernes ambidextres, ce monstre vipérin a la faculté, tel Kaa, le reptile hypnotiseur du « Livre de la jungle », d'endormir les peuples désorientés. Il offre aux « laisser-pour-compte » la beauté des visages vertueux de ces catins d'antan, ces régulières devenues aristocrates. Aussi venimeuses que pieuses, leur sourire peine à dissimuler les vapeurs pestilentielles de leur passé. Qui veut le tuer par le force périra sous l'effet de ce poison qui fait son sang.

Au-lieu d'invoquer Hercule et Thésée à la fois, les grands esprits continuent à servir Hadès. Les détenteurs de la légitimité populaires préfèrent se diviser pour accroître l'intensité de la tragédie qui fait notre quotidien. Ils feignent de vouloir offrir l'Olympe aux mortels que nous sommes. Ils restent unis derrière le maître des enfers. Leurs esprits damnés ont été placés sous l'autorité des Harpies nouvelles. Celles-ci tendent à imposer un paradigme libéral disent-elles. A condition que cette liberté soit celle des plus forts ? Sous leurs grandes ailes, elles prennent en otage le commun des mortels sous l'autel de l'intérêt supérieur de l'accumulation de richesses entre les mains d'une minorité, pour des siècles et des siècles, sur la terre et au ciel. Là où régnaient des consensus sociaux et politiques pour maintenir une cohésion sociale, elles apportent tempêtes et morts, suicides parfois. Elles pratiquent l'étranglement de nos sociétés avec un lacet. Elles imposent des règles modernes insistent-elles, à visée mondiale soulignent-elles, en fixant du regard l'aristocratie moderne de l'Europe.

Le spectacle devient long. A ce stade, nous pouvons nous demander qui incarnera Pyrrhus. A quel moment, cette tragédie va-t-elle cesser ? Doit-on attendre que l'Hydre de Lerne prenne le pouvoir ? N'est-il pas envisageable une seconde que la scène avec les Harpies soit coupée ? A quel moment les serviteurs d'Hadès vont-ils avoir la lucidité de comprendre que c'est Hercule ou Thésée que les peuples attendent ? Le pire dans cette tragédie tient au fait que jour après jour un nouvel épisode s'écrit, sans que jamais les acteurs comprennent qu'ils en sont les auteurs. Paresse ou incompétence ?

mercredi 13 avril 2011

Des joints pour colmater la France ?

Dans une France qui chaque jour perd ses repères, certains politiques proposent de légaliser le cannabis. Louable, cette initiative reflète une myopie politique ambiante. Les joints sont la pointe d'un iceberg qui doucement dérive. La légalisation de la consommation de psychotropes fera sens quand le politique redonnera un sens à la vie collective.


I- Plouf ! un pavé dans la mare.
 
Les politiciens pâlots, qui ont besoin de la lumière pour exister, aiment penser qu'ils jettent des « pavés dans la mare » alors qu'ils abusent de postures et de discours simplistes pour aborder des thèmes politiques aussi compliqués que secondaires.

Ceci est vrai notamment pour le nucléaire, pour l'immigration, pour la question religieuse ou la dépénalisation du cannabis. Tous ces sujets sont sérieux et doivent faire l'objet d'une réflexion construite. Cependant, ils nous distraient de notre préoccupation essentielle : avoir la maîtrise de nos vies. Les évoquer permet de créer de faux débats pour diviser les citoyens et affaiblir le collectif au détriment de la cohésion sociale de notre pays.

Dans cet esprit, il conviendrait que nous abstenions de participer au débat suscité par la publication récente de l'ouvrage « La fin des dealers ». Voilà pourtant un cas exemplaire qui illustre bien nos propos précédents.

« La fin des dealers » provoque une polémique autour de la légalisation du cannabis. A nos yeux, celle-ci tient surtout à la supposée légitimité des auteurs. Ils incarnent l'autorité de l'Etat. D'un côté, l'ami de Nicolas HULOT : Stéphane GATTIGNON, Maire de Sevran et de l'autre un « ancien policier » : Serge SUPERSAC.

En découvrant le titre de cet essai nous nous interrogeons sur la forme orthographique attribuée au mot « fin ». S'agit-il bien d'un plaidoyer pour mettre un terme au réseau de « petits commerçants de la drogue » ou alors va-t-on nous expliquer combien des quartiers entiers sont affamés faute de perspectives économiques pour leurs habitants ?

L'essentiel de l'argumentaire repose sur une somme de constats convaincants. Cependant, en faisant le choix d'isoler le cannabis des autres stupéfiants, la voie ouverte par les auteurs devient sinueuse, au risque de nous conduire à une impasse intellectuelle, morale et politique.

Nous avons l'impression que les auteurs lancent un énième « appel au secours » à destination des autorités politiques nationales. Ils nous interpellent sur l'insupportable poids du quotidien pour des centaines de milliers de personnes qui ont la désagréable sensation que l'ordre public a été sous-traité à de sinistres chefs de bandes.

Cet ouvrage alimente l'hypothèse que le démantèlement de l'Etat, partout sur le territoire national, engendre, notamment dans le cas de concentrations urbaines, un vide en matière de « vivre ensemble ». Pour pallier cette absence de perspectives collectives, les plus fragiles s'agrègent à des succédanés de communautés : la bande ou la religion. Dans le premier cas, la bande, quand elle s'organise autour de l'économie de la drogue, peut donner l'illusion d'offrir un substitut de revenus aux allures d'ascenseur social. Dans le deuxième cas, elle donne un cadre à des personnalités déstructurées qui aspirent à une socialisation plus « normale », plus apaisée et plus spirituelle.

Par leur initiative, les deux compères ont voulu illustrer, une nouvelle fois, le gâchis auquel assistent ces territoires qui accueillent pourtant le « futur de la France », cette jeunesse débrouillarde et riche de sa diversité. Alors, nous nous demandons si, malgré nous, nous n'avons pas abandonné des bataillons entiers de nos compatriotes. Nous mesurons qu'une minorité active déraille au détriment des silencieux. Dans ce contexte, le commerce de la drogue n'est qu'un appendice visible d'un drame collectif effroyable. 


II- Légaliser quoi ? comment ? à quelles fins ?

S'il était vraiment question de légaliser l'usage de substances qui interviennent au niveau du système nerveux central et qui engendrent une dépendance physique ou psychologique pourquoi ne pas avoir proposé de les légaliser toutes ?

Pourquoi accorder un statut particulier au cannabis plutôt qu'à la cocaïne par exemple ?
Dans les deux cas, la dépendance est avant tout psychique. Dans le cadre de la diversification de leurs activités, les « fourmis », ces épiciers qui se postent au pied des immeubles proposent indistinctement l'un ou l'autre des produits. L'expérience des Pays-Bas nous apprend que l'émergence des « coffee shop » s'est accompagnée progressivement d'un renforcement du trafic de la cocaïne dans leur périphérie immédiate. La légalisation n'a donc aucunement remis en cause les activités des milieux criminels. Cela tient sans doute au fait que grossistes et détaillants devaient compenser les pertes financières induites par cette décision politique.

L'économie de la drogue, tant qu'elle restera entre les mains de voyous continuera à être une plaie pour l'ordre public dans notre pays. D'un point de vue géopolitique, cet état de fait affaiblit les Etats et la démocratie dans les pays producteurs. Les consommateurs des « pays riches » font le jeu de la corruption et renforcent le poids des caïds ou d'organisations dites révolutionnaires, dont le commerce de la drogue alimente les caisses pour acquérir des armes. Le cas de la Colombie ou de l'Afghanistan nous éclairent en la matière. Nous ne pouvons davantage ignorer que le commerce de la drogue permet aux services spéciaux de certains Etats de financer discrètement des opérations inavouables.

Nous le voyons, aborder la question de la légalisation des toxiques nous contraint à aborder la question du développement économique de nos quartiers et conjointement des pays producteurs. Sur ce point, il convient de reconnaître que les flux migratoires ont contribué à faire émerger des passerelles entre les « deux mondes ». Cette situation nous rappelle que l'économie reste une activité humaine, qu'elle n'a rien de virtuelle ni dans son exercice, ni dans ses conséquences. De ce point de vue, ce sont les modalités de la mondialisation - en tant que fruit du libre-échange économique et formalisation des rapports de forces entre le « Nord » et le « Sud » - qui doivent être interrogées.

La légalisation de l'usage de psychotropes peut donc entrer en contradiction avec des intérêts économiques importants. Ce type de décision remet également en cause les équilibres fragiles des économies locales, ici ou ailleurs, dont le commerce de la drogue est la colonne vertébrale. Les « émeutes » de novembre 2005 - dont il a été prouvé qu'elles trouvaient leurs sources dans l'assèchement, suite à d'importantes saisies, du marché du cannabis - nous donnent un aperçu des désordres publics qui se profileraient. Qui osera prendre ce risque ?

La prohibition de ces substances toxiques mobilise l'énergie de la Justice et des autorités de Police. Ne serait-il pas plus urgent de concentrer les efforts étatiques autour des préoccupations de santé publique induites par la consommation de telles substances ?

Sur ce point, les arguments des auteurs font écho au livre d'information « drogues, savoir plus, risquer moins » publié en 2000 par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Nous soulignons qu'à partir de 2002, à l'arrivée du tonitruant Ministre de l'Intérieur, aujourd'hui chef de l'Etat, ce dernier s'est empressé de neutraliser cet organisme. Il lui reprochait de vouloir banaliser les drogues. Ce parti-pris vise sans doute à dissimuler le fait que les toxiques autorisés (alcool, tabac ou anti-dépresseurs) sont aussi dangereux pour la santé que ceux qui enrichissent des organisations criminelles.

Doit-on y voir la volonté de criminaliser les consommateurs et les producteurs (comme dans le cas des canabiculteurs individuels) de certains produits toxiques ? Peut-on accepter cela et dans le même temps, demander à la collectivité de subvenir aux dépenses de santé induites par la consommation des toxiques légaux ? Il est étonnant que l'Etat, souvent prompt à chercher des recettes fiscales nouvelles, n'aie pas succombé à l'argument financier de la maîtrise de la production et de la distribution des toxiques aujourd'hui prohibés. Nous soulignons d'ailleurs que le tabac est devenu une marchandise comme les autres, aux mains d'intérêts privés colossaux. Souvenons -nous que depuis 1995, l'Etat s'est défait du monopole des tabacs qui avait été rétabli par Napoléon Ier en 1810.

Notre questionnement est renforcé par le fait que dès 1991, avec la « Loi Evin » le législateur reconnaissait que le tabac et l'alcool était dangereux pour la santé. Le degré de dangerosité des substances est un argument souvent mis en exergue pour justifier que la légalisation ne puisse les concerner toutes. Si ce critère doit être pris en compte, pourquoi autorise-t-on la production et la vente du tabac ? A en croire certains alcooliques abstinents - qui ont pu vaincre leurs démons de l'alcool – il est plus difficile de décrocher du tabac. La dépendance psychique - liée en partie aux habitudes du fumeur - et la dépendance à la nicotine expliquent sans doute cette difficulté. A écouter les consommateurs de médicaments psycho-actifs il est impossible de s'y soustraire sans subir une période progressive de sevrage. Sans ça, un arrêt brutal de leur consommation engendre un état de manque violent.

La dangerosité est donc un alibi qui entre en contradiction avec les effets que nous observons au niveau des produits autorisés. Cette argutie permet d'éviter d'aborder les raisons psychiques qui peuvent nous conduire à être malade de tel ou tel toxique (sans oublier les addictions au jeu ou au sexe). Ces phénomènes addictifs renvoient à un besoin physiologique de sentir « bien » ou « mieux », de provoquer du plaisir . Cette situation laisse entendre que pour beaucoup d'entre nous, rien dans nos vies ne nous donne du plaisir autrement.

Nous comprenons que ces dérivatifs adoucissent des existences malmenées. De même, rendent-ils supportables des conditions de vie ou de travail qui épuisent nos ressources nerveuses. Dans ce cas, nous comprenons pourquoi le monopole du jeu a été levé. En encourageant le développement de ce type d'activités, au profit d'intérêts bien compris, on accepte de faire rêver un public qui souhaite se soustraire à un quotidien matériel difficile. Cela s'inscrit dans la lignée de l'adage : « il fait faire payer les pauvres, ils sont plus nombreux ».

Si nous pensons qu'il est essentiel de casser les mafias et leurs trafics par une légalisation totale, il convient en amont d'associer le monde de la santé. A chacun de prendre ses responsabilités. Nous mesurons combien la question de la légalisation des toxiques nous renvoie au rôle et à la responsabilité de l'Etat dans une société qui, jour après jour, se délite au point de nous éloigner d'un projet collectif. Nous comprenons que nos compatriotes ont besoin de rêver et de constater que leur quotidien s'améliore. Si nous voulons « sauver les banlieues », si nous voulons apaiser le quotidien des Français, il est urgent de comprendre qu'il faut ré-instituer des lieux de socialisation forts. Jamais l'emprisonnement ou la mise à l'amende pour telle ou telle infraction ne permettra au « délinquant » de se réhabiliter. Au contraire, la criminalisation des consommateurs concourt à les couper de la société.

Seuls une éducation, une formation et un travail donneront à cette jeunesse qui dérive les moyens de se socialiser et de se sentir membre à part entière d'une collectivité politique nationale ou européenne.

Vouloir légaliser seulement le cannabis revient à s'éloigner de l'essentiel. C'est une mauvaise « bonne solution ». Nous le voyons, le problème n'est pas la drogue. Ce sont les conditions économiques et sociales qui président à son existence, à son développement et aux conséquences induites, ici et dans les pays producteurs.

Nous pouvons nous demander si l'approche partielle sur ce dossier, comme sur d'autres, répond à des préoccupations « politiciennes » et « communicationnelles » à visées électoralistes. Si tel était le cas, cela trahirait-il une paresse intellectuelle ou alors simplement des limites.


lundi 11 avril 2011

Vers un nouvel horizon transfrontalier : de la terre à la lune ?

L'une des quatre assemblées générales décentralisées du Groupement Transfrontalier Européen se tenait vendredi 8 avril 2011 à Archamps.
A cette occasion Bernard ACCOYER et Christian MONTEIL ont pris la parole sur des questions qui tenaillent le contexte transfrontalier.
Tandis que l'allocution tant attendue du Président de l'Assemblée nationale engendrait un fort scepticisme, celle du Président du Conseil général de Haute-Savoie empreinte de volontarisme, ouvrait le chemin.


I- Le Groupement Transfrontalier Européen : soutenir les travailleurs, participer à la création du "Grand Genève"

Vendredi 8 avril 2011 au soir, le Groupement Transfrontalier Européen (GTE) tenait à Archamps l'une de ses quatre assemblées générales annuelles.

Avec près de 32000 membres, le GTE est le principal représentant et défenseur des intérêts des travailleurs transfrontaliers franco-suisses. Au fil des années, cette association s'est imposée comme une redoutable machine de guerre que ne peuvent ignorer les autorités suisses et françaises. Cette avant-garde constitue d'ailleurs la plus importante force de propositions de la "société civile" franco-suisse au sein des différentes assemblées consultatives locales, en charge des questions d'aménagement et de développement territorial.

Au terme du discours de Michel CHARRAT, son président, l'auditeur mesure combien les questions transfrontalières ont, depuis 1963, évoluées sur la forme. Sur le fond, les problèmes d'hier restent pour partie d'actualité.

Sur la forme, le cadre juridique des relations franco-suisses évolue du fait des évolutions législatives de la Confédération helvétique. En conséquence, le GTE doit faire face à de nouvelles manières de « jouer avec la frontière ». En première ligne, il découvre les vides juridiques induits par ces pratiques. Résolue à faire valoir sa "vocation sociale", inlassablement, cette association sensibilise les "faiseurs de lois françaises" pour faire progresser le droit social de notre république.

Sur le fond, sourcilleux avec les principes d'égalité, ses responsables savent rappeler que tous les résidents français sont, en principe, égaux devant la loi et devant l'impôt.

C'est cette petite musique qu'ils ont entonné les années passées au plus haut niveau de l'Etat - à Paris et à Berne - à propos des conditions de l'imposition du rapatriement du deuxième pilier de la retraite des salariés transfrontaliers1. En tant que retraite complémentaire, le GTE a fait valoir que ce capital devait être soumis aux mêmes conditions que les autres types de retraites complémentaires françaises. Par un triste sort, les parlementaires français en ont décidé autrement. Le capital retiré est considéré comme un revenu exceptionnel de l'année fiscale concernée. Dès lors, le travailleur transfrontalier abandonne à l'Etat entre 27 et 38% de sa retraite complémentaire.


II- Paroles et  paroles et paroles : tout ça pour ça !

Face à la grogne des représentants du GTE, le Député-Maire d'Annecy-le-Vieux qui occupe la présidence de l'Assemblée nationale, avait tenu à être présent à cette assemblée générale. Soulignons que son absence un vendredi soir eût été incongrue. L'essentiel du travail parlementaire a lieu en semaine. A l'exception des réunions des partis politiques, rares sont les travaux qui se déroulent le week-end dans les bureaux du Palais Bourbon et de ses annexes. Les parlementaires prennent le chemin de leur circonscription dès le vendredi midi, parfois le jeudi soir.

Prenant la parole, le quatrième personnage de l'Etat évoque la crise de 2008, la dette de l'Etat, une autoroute de la terre à la lune… Son avant-propos laisse les auditeurs perplexes. Médusée, l'assistance se demande si c'est l'impôt des salariés transfrontaliers qui va réduire la dette de la France. Elle se demande pourquoi construire une liaison terre-lune. Il est vrai qu'il aurait été trop simple, pour les écervelés que nous sommes, que l'on nous dise que la dette de l'Etat correspondait à une année et demie du budget de la France (1500 Mds d'euro de dette pour un budget annuel d'environ 1000 Mds d'euro).

Peut-être qu'en nous envoyant sur la lune, pensait-il mettre en application un adage chinois - appris lors des ses déplacements en Chine - qu'il eût mal compris : "Quand le sage désigne la lune, l'idiot regarde le doigt".

De toute évidence, l'exercice introductif avait vocation à replacer les "éléments de langage" des communicants de l'UMP et de l'Elysée. En ce qui le concerne, nous pouvons affirmer que l'occupant de " l'Hôtel de Lassay" maîtrise difficilement ce travail de perroquet.

Plus loin dans son discours, nous avons droit au refrain du dévoué serviteur des travailleurs frontaliers. Y-a-t-il quelque chose d'anormal à ce qu'un Député français fasse son travail de représentant du peuple de Haute-Savoie ? Pendant quelques secondes, l'éminent médecin a frôlé la sortie de route. Plein d'humilité, il nous rappelle qu'il est le père de l'autoroute Genève-Annecy. Il précise que l'accord lui a été donné personnellement par l'actuel Président de la République et ajoute que cela n'a rien coûté à personne, même s'il feint de reconnaître que ce tronçon est onéreux pour l'usager. A cet instant, les participants sont pris d'une terrible émotion. Ils donnent l'impression d'avoir rencontré Dieu. En réalité, nul n'ignore que la concession de la Liaison Annecy Nord Express (LIANE) a été attribuée à une société détenue à 46% par le groupe Bouygues. Nul n'ignore non plus les liens qui unissent le Chef de l'Etat et Martin Bouygues… Soit notre héraut de la soirée a tenté de nous abuser, soit a-t-il été lui-même abusé par les effets d'une bouffée égotique.

Après avoir égrené une somme de banalités affligeantes, l'édile d'Annecy-le-Vieux évoque enfin le sujet qui nous intéresse tous : l'imposition du deuxième pilier.

A cet instant nous comprenons que dans son grand bureau, entouré de ses conseillers, le Président de l'Assemblée nationale est en réalité un roi sans trône et sans pouvoir. Il nous explique que l'amendement qui a été voté lui avait échappé. Voilà un homme qui suit, au plus près, les dossiers qui lui sont confiés. Nous pouvons admettre qu'un souci de communication soit venu parasiter le processus législatif et que l'attention du médecin ou celle de ses collaborateurs aie été détournée. En revanche, comment expliquer que sur 6 députés,2 prétendument fortement sensibilisés et mobilisés par les actions du GTE, pas un seul n'a vu venir le coup ?

A stade, nous pouvons nous demander si la décision législative n'a pas été prise à dessein avec l'accord des élus sus-mentionnés.

L'honneur est sauf nous indique-t-il plus loin. Il a pris rendez-vous le 20 avril 2011 avec le Directeur de cabinet du Ministre des finances et le Président du GTE y est convié. (Il est amusant de découvrir sur le site web du Député TARDY que cette rencontre aura lieu en présence du Ministre en personne...). La foule est en liesse, l'assistance se déchaîne à cette annonce...


III- La réalité des faits :

En réalité, c'est la douche froide. Chacun comprend que le dossier est durablement bloqué. En effet, les responsables de ce ministère ont déjà rencontré les représentants du GTE. Ils avaient, à leur tour, pris des engagements. De toute évidence, ces Français qui travaillent en Suisse sont des moutons qu'il faut tondre. Comment ne pas comprendre que derrière ces fonds de retraite complémentaires se cachent d'autres millions d'euros dissimulés au fisc ? Pourquoi faire des cadeaux à d'honnêtes travailleurs alors que le majorité parlementaire a puni ses propres donateurs occultes, exilés en Suisse ?

Derrière ce discours creux et insipide, l'observateur des questions franco-suisses comprend bien que l'homme fort de la Haute-Savoie aborde la question franco-suisse comme une somme de problèmes. Comment ne pas avoir entendu son couplet sur l'impact de l'attraction genevoise sur le service public hospitalier annécien. Nous pourrions lui rappeler qu'avec la liaison LIANE la situation va empirer.

Nous pourrions également lui indiquer que s'il mettait autant d'énergie à s'impliquer dans ces dossiers politiques majeurs - en lien avec l'aménagement et le développement de la zone frontalière élargie - que celle déployée pour les JO à Annecy, sans doute n'aurait-il pas eu besoin de se déplacer. Son absence aurait été remarquée mais comprise.

Au terme de cette intervention, nous comprenons pourquoi les services centraux du ministère de l'Intérieur et des Affaires étrangères se soucient guère des questions transfrontalières. Tout indique que les revendications et les propositions en la matière sont parasitées par un porte-parole plus prompt à tuer le bébé dans l’œuf qu'à favoriser l'émergence d'un vrai pôle franco-suisse qui reléguerait officiellement Annecy au rang de périphérie de Genève. C'est en ça que les questions de fond restent en suspens depuis bientôt 50 ans. Les élus locaux, honnêtes travailleurs dévoués à la vie de leurs communes ou de leurs cantons, peinent à appréhender la réalité en dehors des contingences du quotidien provoquées par des phénomènes dont l'origine leur échappe. Les dynamiques spatiales constituent l'une des facettes de notre société soumise aux influences de ce que d'aucuns désignent la mondialisation. Répondre aux causes d'un problème engendré par l'agglomération de plus de trois cents communes n'est possible qu'avec un instrument politique adapté, qui dispose de compétences en matière d'aménagement et développement, de moyens humains et financiers. Sous nos yeux se dessine le besoin d'une structure publique transfrontalière.

Ignorer cette nécessité et continuer à jouer "à qui perd gagne" - en préférant les combats "clochemerlesques" - relève de la plus absolue inconséquence. Au-delà de la déperdition de richesses, de la déprédation environnementale et des inégalités territoriales induites par cette attitude bassement politicienne, cette approche rend davantage encore les élus locaux impuissants. Cela contribue à dé-crédibiliser la chose publique et le rôle des responsables politiques. Le "chacun pour soi" engendre un laisser-faire qui nous conduit inéluctablement dans le mur, sous les yeux interloqués de nos interlocuteurs suisses.


IV – Le temps du volontarisme ?

De toute évidence, Christian MONTEIL, Président du Conseil général de Haute-Savoie (CG74) semble partager cette analyse.

Rasséréné par sa reconduite à la tête de l'exécutif départemental, l'élu de Seyssel a tenu un discours simple et concret qui exprime un volontarisme politique conforme aux enjeux transfrontaliers. Osons-nous formuler l'hypothèse que le discours et les idées du nouvel arrivant Avenue d'Albigny, Antoine VIEILLARD, ait été entendu ?

Il est à noter que le dossier transfrontalier a été délégué au premier vice-président du CG74 : Raymond MUDRY.

A propos des « fonds genevois », il a indiqué que le CG74 acceptait de renoncer à en conserver une partie (20% environ), à condition que cela permette de financer des projets d'infrastructures essentiels.

A propos du CEVA, il a rappelé qu'il manquait aujourd'hui 130 millions d'euros pour commencer la tranche française. Il a proposé de financer 50% de ce projet, à condition que les autres partenaires s'engagent à leur tour. Il souhaite dupliquer le schéma proposé pour le désenclavement du Chablais.
Le calcul retenu est assez simple dans la mesure où les fonds genevois pour l'année 2010 s'élèvent à 130 millions d'euros. De manière schématique, on peut considérer qu'il propose aux communes de leur verser le même montant que les années précédentes et de conserver le "surplus" pour l'injecter dans le projet "CEVA". 

De toute évidence, cette tranche pourra-t-elle être financée quasiment sans avoir recours à l'emprunt.

Cette main tendue saura-t-elle retenir l'attention des pouvoirs publics ?

Il est à souhaiter que le nouveau préfet de région fasse preuve d'initiative et ignore les esprits chagrins.

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1
La loi sur la prévoyance professionnelle suisse a institué un dispositif de retraite obligatoire par capitalisation qui vient compléter le système par répartition d'assurance vieillesse.
Lors du retrait de prévoyance professionnelle en espèces, ce capital est soumis à l'impôt en Suisse puis en France. Une fois l'impôt versé aux autorités fiscales françaises, celles de la Suisse remboursent l'impôt qu'elles ont prélevé au départ.

5 députés de la Haute-Savoie :

1 député de l'Ain :