Dans une France qui chaque jour perd ses repères, certains politiques proposent de légaliser le cannabis. Louable, cette initiative reflète une myopie politique ambiante. Les joints sont la pointe d'un iceberg qui doucement dérive. La légalisation de la consommation de psychotropes fera sens quand le politique redonnera un sens à la vie collective.
I- Plouf ! un pavé dans la mare.
Les politiciens pâlots, qui ont besoin de la lumière pour exister, aiment penser qu'ils jettent des « pavés dans la mare » alors qu'ils abusent de postures et de discours simplistes pour aborder des thèmes politiques aussi compliqués que secondaires.
Ceci est vrai notamment pour le nucléaire, pour l'immigration, pour la question religieuse ou la dépénalisation du cannabis. Tous ces sujets sont sérieux et doivent faire l'objet d'une réflexion construite. Cependant, ils nous distraient de notre préoccupation essentielle : avoir la maîtrise de nos vies. Les évoquer permet de créer de faux débats pour diviser les citoyens et affaiblir le collectif au détriment de la cohésion sociale de notre pays.
Dans cet esprit, il conviendrait que nous abstenions de participer au débat suscité par la publication récente de l'ouvrage « La fin des dealers ». Voilà pourtant un cas exemplaire qui illustre bien nos propos précédents.
« La fin des dealers » provoque une polémique autour de la légalisation du cannabis. A nos yeux, celle-ci tient surtout à la supposée légitimité des auteurs. Ils incarnent l'autorité de l'Etat. D'un côté, l'ami de Nicolas HULOT : Stéphane GATTIGNON, Maire de Sevran et de l'autre un « ancien policier » : Serge SUPERSAC.
En découvrant le titre de cet essai nous nous interrogeons sur la forme orthographique attribuée au mot « fin ». S'agit-il bien d'un plaidoyer pour mettre un terme au réseau de « petits commerçants de la drogue » ou alors va-t-on nous expliquer combien des quartiers entiers sont affamés faute de perspectives économiques pour leurs habitants ?
L'essentiel de l'argumentaire repose sur une somme de constats convaincants. Cependant, en faisant le choix d'isoler le cannabis des autres stupéfiants, la voie ouverte par les auteurs devient sinueuse, au risque de nous conduire à une impasse intellectuelle, morale et politique.
Nous avons l'impression que les auteurs lancent un énième « appel au secours » à destination des autorités politiques nationales. Ils nous interpellent sur l'insupportable poids du quotidien pour des centaines de milliers de personnes qui ont la désagréable sensation que l'ordre public a été sous-traité à de sinistres chefs de bandes.
Cet ouvrage alimente l'hypothèse que le démantèlement de l'Etat, partout sur le territoire national, engendre, notamment dans le cas de concentrations urbaines, un vide en matière de « vivre ensemble ». Pour pallier cette absence de perspectives collectives, les plus fragiles s'agrègent à des succédanés de communautés : la bande ou la religion. Dans le premier cas, la bande, quand elle s'organise autour de l'économie de la drogue, peut donner l'illusion d'offrir un substitut de revenus aux allures d'ascenseur social. Dans le deuxième cas, elle donne un cadre à des personnalités déstructurées qui aspirent à une socialisation plus « normale », plus apaisée et plus spirituelle.
Par leur initiative, les deux compères ont voulu illustrer, une nouvelle fois, le gâchis auquel assistent ces territoires qui accueillent pourtant le « futur de la France », cette jeunesse débrouillarde et riche de sa diversité. Alors, nous nous demandons si, malgré nous, nous n'avons pas abandonné des bataillons entiers de nos compatriotes. Nous mesurons qu'une minorité active déraille au détriment des silencieux. Dans ce contexte, le commerce de la drogue n'est qu'un appendice visible d'un drame collectif effroyable.
II- Légaliser quoi ? comment ? à quelles fins ?
S'il était vraiment question de légaliser l'usage de substances qui interviennent au niveau du système nerveux central et qui engendrent une dépendance physique ou psychologique pourquoi ne pas avoir proposé de les légaliser toutes ?
Pourquoi accorder un statut particulier au cannabis plutôt qu'à la cocaïne par exemple ?
Dans les deux cas, la dépendance est avant tout psychique. Dans le cadre de la diversification de leurs activités, les « fourmis », ces épiciers qui se postent au pied des immeubles proposent indistinctement l'un ou l'autre des produits. L'expérience des Pays-Bas nous apprend que l'émergence des « coffee shop » s'est accompagnée progressivement d'un renforcement du trafic de la cocaïne dans leur périphérie immédiate. La légalisation n'a donc aucunement remis en cause les activités des milieux criminels. Cela tient sans doute au fait que grossistes et détaillants devaient compenser les pertes financières induites par cette décision politique.
L'économie de la drogue, tant qu'elle restera entre les mains de voyous continuera à être une plaie pour l'ordre public dans notre pays. D'un point de vue géopolitique, cet état de fait affaiblit les Etats et la démocratie dans les pays producteurs. Les consommateurs des « pays riches » font le jeu de la corruption et renforcent le poids des caïds ou d'organisations dites révolutionnaires, dont le commerce de la drogue alimente les caisses pour acquérir des armes. Le cas de la Colombie ou de l'Afghanistan nous éclairent en la matière. Nous ne pouvons davantage ignorer que le commerce de la drogue permet aux services spéciaux de certains Etats de financer discrètement des opérations inavouables.
Nous le voyons, aborder la question de la légalisation des toxiques nous contraint à aborder la question du développement économique de nos quartiers et conjointement des pays producteurs. Sur ce point, il convient de reconnaître que les flux migratoires ont contribué à faire émerger des passerelles entre les « deux mondes ». Cette situation nous rappelle que l'économie reste une activité humaine, qu'elle n'a rien de virtuelle ni dans son exercice, ni dans ses conséquences. De ce point de vue, ce sont les modalités de la mondialisation - en tant que fruit du libre-échange économique et formalisation des rapports de forces entre le « Nord » et le « Sud » - qui doivent être interrogées.
La légalisation de l'usage de psychotropes peut donc entrer en contradiction avec des intérêts économiques importants. Ce type de décision remet également en cause les équilibres fragiles des économies locales, ici ou ailleurs, dont le commerce de la drogue est la colonne vertébrale. Les « émeutes » de novembre 2005 - dont il a été prouvé qu'elles trouvaient leurs sources dans l'assèchement, suite à d'importantes saisies, du marché du cannabis - nous donnent un aperçu des désordres publics qui se profileraient. Qui osera prendre ce risque ?
La prohibition de ces substances toxiques mobilise l'énergie de la Justice et des autorités de Police. Ne serait-il pas plus urgent de concentrer les efforts étatiques autour des préoccupations de santé publique induites par la consommation de telles substances ?
Sur ce point, les arguments des auteurs font écho au livre d'information « drogues, savoir plus, risquer moins » publié en 2000 par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Nous soulignons qu'à partir de 2002, à l'arrivée du tonitruant Ministre de l'Intérieur, aujourd'hui chef de l'Etat, ce dernier s'est empressé de neutraliser cet organisme. Il lui reprochait de vouloir banaliser les drogues. Ce parti-pris vise sans doute à dissimuler le fait que les toxiques autorisés (alcool, tabac ou anti-dépresseurs) sont aussi dangereux pour la santé que ceux qui enrichissent des organisations criminelles.
Doit-on y voir la volonté de criminaliser les consommateurs et les producteurs (comme dans le cas des canabiculteurs individuels) de certains produits toxiques ? Peut-on accepter cela et dans le même temps, demander à la collectivité de subvenir aux dépenses de santé induites par la consommation des toxiques légaux ? Il est étonnant que l'Etat, souvent prompt à chercher des recettes fiscales nouvelles, n'aie pas succombé à l'argument financier de la maîtrise de la production et de la distribution des toxiques aujourd'hui prohibés. Nous soulignons d'ailleurs que le tabac est devenu une marchandise comme les autres, aux mains d'intérêts privés colossaux. Souvenons -nous que depuis 1995, l'Etat s'est défait du monopole des tabacs qui avait été rétabli par Napoléon Ier en 1810.
Notre questionnement est renforcé par le fait que dès 1991, avec la « Loi Evin » le législateur reconnaissait que le tabac et l'alcool était dangereux pour la santé. Le degré de dangerosité des substances est un argument souvent mis en exergue pour justifier que la légalisation ne puisse les concerner toutes. Si ce critère doit être pris en compte, pourquoi autorise-t-on la production et la vente du tabac ? A en croire certains alcooliques abstinents - qui ont pu vaincre leurs démons de l'alcool – il est plus difficile de décrocher du tabac. La dépendance psychique - liée en partie aux habitudes du fumeur - et la dépendance à la nicotine expliquent sans doute cette difficulté. A écouter les consommateurs de médicaments psycho-actifs il est impossible de s'y soustraire sans subir une période progressive de sevrage. Sans ça, un arrêt brutal de leur consommation engendre un état de manque violent.
La dangerosité est donc un alibi qui entre en contradiction avec les effets que nous observons au niveau des produits autorisés. Cette argutie permet d'éviter d'aborder les raisons psychiques qui peuvent nous conduire à être malade de tel ou tel toxique (sans oublier les addictions au jeu ou au sexe). Ces phénomènes addictifs renvoient à un besoin physiologique de sentir « bien » ou « mieux », de provoquer du plaisir . Cette situation laisse entendre que pour beaucoup d'entre nous, rien dans nos vies ne nous donne du plaisir autrement.
Nous comprenons que ces dérivatifs adoucissent des existences malmenées. De même, rendent-ils supportables des conditions de vie ou de travail qui épuisent nos ressources nerveuses. Dans ce cas, nous comprenons pourquoi le monopole du jeu a été levé. En encourageant le développement de ce type d'activités, au profit d'intérêts bien compris, on accepte de faire rêver un public qui souhaite se soustraire à un quotidien matériel difficile. Cela s'inscrit dans la lignée de l'adage : « il fait faire payer les pauvres, ils sont plus nombreux ».
Si nous pensons qu'il est essentiel de casser les mafias et leurs trafics par une légalisation totale, il convient en amont d'associer le monde de la santé. A chacun de prendre ses responsabilités. Nous mesurons combien la question de la légalisation des toxiques nous renvoie au rôle et à la responsabilité de l'Etat dans une société qui, jour après jour, se délite au point de nous éloigner d'un projet collectif. Nous comprenons que nos compatriotes ont besoin de rêver et de constater que leur quotidien s'améliore. Si nous voulons « sauver les banlieues », si nous voulons apaiser le quotidien des Français, il est urgent de comprendre qu'il faut ré-instituer des lieux de socialisation forts. Jamais l'emprisonnement ou la mise à l'amende pour telle ou telle infraction ne permettra au « délinquant » de se réhabiliter. Au contraire, la criminalisation des consommateurs concourt à les couper de la société.
Seuls une éducation, une formation et un travail donneront à cette jeunesse qui dérive les moyens de se socialiser et de se sentir membre à part entière d'une collectivité politique nationale ou européenne.
Vouloir légaliser seulement le cannabis revient à s'éloigner de l'essentiel. C'est une mauvaise « bonne solution ». Nous le voyons, le problème n'est pas la drogue. Ce sont les conditions économiques et sociales qui président à son existence, à son développement et aux conséquences induites, ici et dans les pays producteurs.
Nous pouvons nous demander si l'approche partielle sur ce dossier, comme sur d'autres, répond à des préoccupations « politiciennes » et « communicationnelles » à visées électoralistes. Si tel était le cas, cela trahirait-il une paresse intellectuelle ou alors simplement des limites.